Vol d'âme
J’aime faire des photos. Je suis paresseuse en ce qui concerne l’apprentissage de la technique, mais j’ai toujours aimé capturer l’instant. Petite je rêvais que mes yeux soient un appareil photo et qu’il me suffise de cligner des yeux pour prendre un cliché.
Dans les photos, j’aime les souvenirs, j’aime qu’en regardant telle ou telle image on soit immédiatement replongé dans une ambiance, des odeurs, y reconnaître des visages aimés et disparus, sentir le vent qui soufflait ce jour là ou l’odeur des vagues qui venaient mourir sur les rochers.
Et pourtant j’ai du mal à faire des portraits des gens. Sauf mes enfants, mais là c’est différent, ils sont si beaux, les plus beaux ! Photographier quelqu’un c’est un peu lui voler quelque chose de son âme. C’est figer ce qui n’existera plus jamais, une expression, un regard, une seconde d’éternité. C’est trompeur aussi parfois, parce que la photo ne rend pas grâce à ce qui fait l’essence de l’être. Son déplacement dans l’espace, sa grâce, son mouvement unique, l’odeur de sa peau, le goût de ses baisers, sa voix lorsqu’il prononce les mots importants, pas les mots de tous les jours, non les mots capitaux, ceux qu’il faudra retenir quand pour une raison ou pour une autre, il ne sera plus là.
Alors à défaut de photographier les gens, je chasse les nuages, je scrute le paysage, là où vous voyez des montagnes, je vois des courbes, je distingue les nuances de bleu du ciel, j’admire le camaïeu que la nature compose spontanément, dans l’écume des vagues c’est les larmes que je contemple.
J’aime ces clichés pris à la volée tandis que mes amours me pressent et me bousculent, soupirant parce qu’une fois encore j’ai stoppé ma marche, dégainant mon téléphone, cadrant à l’arrache parce que ne pouvait m’échapper ce détail insignifiant qui soudain a attiré mon œil.
J’ai failli perdre la vue à une époque, un œil y est resté en rade, cela a aiguisé paradoxalement mon acuité, mon attention au monde. La peur de perdre cela m’a fait réagir. Pourquoi en est il souvent ainsi, pourquoi faut il avoir peur de perdre quelqu’un ou quelque chose pour s’apercevoir à quel point cette personne ou cet objet nous est indispensable ?