Ma Venise à moi...
Je ne saurais dire ce qui me rattache à cette ville qui a tant d'amoureux. Lorsque j'y suis, c'est comme si j'étais chez moi, tout y semble naturel, je respire mieux, je pourrais marcher durant des heures, je n'ai pas peur de m'y perdre.
Nous venons d'y passer deux jours entiers au retour de nos vacances italiennes, ce n'était pas notre meilleur séjour là bas. La saison n'est pas idéale, il y a beaucoup de monde, il y en a toujours mais là tout particulièrement et surtout en deux ans, elle a changé, je la sens menacée ma ville chérie. Menacée par le tourisme industriel, les gros bateaux qui déversent leur foule de touristes, les petits commerces qui disparaissent peu à peu, le restau qu'on aimait et tenu à présent par des asiatiques, avec carte traduite en quatre langues.
On a quand même réussi parfois à s'éloigner, prendre les chemins de traverse, éviter les grands axes. Il y a comme une autoroute là bas qui mène de San Marco au Rialto en venant de Ferrovia !
Il n'empêche, je l'aime et je vais vous la décrire en cinq points, en cinq sens.
L'ouie
C'est le glissement des gondoles sur l'eau, l'accent italien légèrement trainant des Vénitiens, le silence particulier dû à l'absence de véhicules terrestres à moteur, le bruit des pas sur les pavés, le souffle un peu rapide à force de monter et redescendre de pont en pont, de canal en canal. C'est le bruit produit par les vaporetti, le léger choc lorsqu'ils accostent. C'est la musique jouée par l'orchestre à la terrasse du café Florian. Ce sont les cris des gondoliers qui s'interpellent. Les talons qui claquent sur les trottoirs pavés.
L'odorat
C'est l'odeur du poisson sur le marché du Rialto, l'odeur des vieilles pierres chauffées à blanc par le soleil d'été, celle des grillades de poissons et de fruits de mer, la senteur de l'encens des églises, parfois une odeur un peu âcre, un peu moisie, celle de la mousse au bas des maisons et palazzi. C'est le cuir des beaux sacs fabriqués dans les environs. C'est l'odeur poudrée des perruques de marquis d'une autre époque. Celle du cappuccino ou du caffé à l'italienne.
Le toucher
C'est ma main qui caresse la pierre polie par les ans, qui touche le velours des étoffes de naguère, qui effleure les plumes des masques authentiques, ceux faits par les artisans à la manière des siècles passés. C'est toucher le bois d'une gondole et laisser les doigts glisser le long de son flanc brillant. C'est la pierre des pavés que tant de siècles de pas ont privé de toute aspérité. C'est la dentelle de Burano, fine et délicate aussi légère qu'un bruissement d'aile.
Le goût
C'est mon palais flatté par les spécialités vénitiennes : sarde in saor, fegatto alla veneziana, bacala, sans oublier les tramezzini multicolores. Les biscuits à tremper dans le vino santo. Les gelati, les meilleures sont celles à la vanille ou fior di latte, seuls les italiens savent la préparer ainsi ! Ou alors un sorbetto al limone histoire de se rafraîchir. Les cicchetti à déguster à l'heure du spritz, l'apéritif traditionnel.
La vue
De tous les sens, c'est celui qui est le plus sollicité selon moi. Où que se pose le regard, tout est beau. J'aime les dentelles de pierre des palazzi, la ligne élégante des gondoles. C'est une question de lumière, unique. La brillance de l'eau, les mille éclats dont elle se pare. Le bleu du ciel opposé à la pâleur des bâtiments. C'est le papier marbré produit par les artisans. C'est le regard émerveillé que posent certains touristes sur la sérénissime, ceux qui la méritent, ceux qui en repartiront changés à jamais. Les tableaux à l'aquarelle que l'on peut admirer dans certaines vitrines, cette peinture faite d'eau convient si bien à la cité lagunaire. Au printemps, la vision des glycines en fleurs qui dégringolent en cascade au dessus des canaux.
Venise, on aime ou on déteste. On peut n'en voir que les mauvais côtés, les prix excessifs, le nombre de touristes sans cesse grandissant. Mais on peut tomber sous le charme et y être à vie, tomber amoureux d'une ville est ce bien raisonnable...